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Léopold, la passion en argentique

Portrait
Publié le 15 . 12 . 2024
Rédaction : Rubin Hulin | Photographie : Amélie Leray
À l’occasion du vingtième anniversaire du cinéma Les Cinéastes, nous proposons plusieurs portraits et interviews des salarié.e.s et membres de ce cinéma d’Art et Essai du Mans. Aujourd’hui, nous rencontrons Léopold, un de ses projectionnistes. 

Midi pile. Sous le soleil de ce mois d’octobre, on attend devant la grande porte vitrée des Cinéastes. Elle est fermée, on ne voit absolument rien derrière. La lumière de cette fin de matinée qui se répercute devant, nous cache ce qui se passe à l’intérieur. Léopold vient vers nous pour ouvrir la grande porte du cinéma.

Le hall est encore vide, si calme. Les fidèles et habitués ne sont pas encore arrivés, la première séance du jour est seulement dans une heure. Léopold, timide et réservé en apparence avec un grand sourire sincère et toujours naturel, nous accueille. « Tu veux un café ? » Sa voix grave et son allure imposante contrastent avec son côté réservé.  « Je prends deux minutes et je suis à toi ». Aujourd’hui, c’est pour le mettre en lumière que nous sommes venus. Un exercice dont il n’est pas le plus grand fan, mais c’est ce qui rend le moment plaisant. Moins intéressé et à l’aise quand il parle de son parcours et de sa personne, ses yeux rayonnent et il prend de l’assurance quand il nous raconte son métier. Lorsqu’il évoque son quotidien de projectionniste, cela respire la passion. Particulièrement, vous verrez, quand il nous montrera comment mettre en place un film en pellicule, au milieu des innombrables machines autour de nous. « C’est agréable de faire un boulot tranquille, je me vois bien rester là un bon moment », nous glisse-t-il.

Aux Cinéastes, on touche-à-tout. Les projections, pour lui, c’est souvent le soir jusqu’au début de la nuit. « Le soir, c’est plus calme, parfois, on ne fait plus rien quand on s’apprête à fermer, c’est tranquille, c’est paisible et silencieux ». Il est aussi à la caisse pendant la journée. « Ça crée du lien, c’est un plaisir de discuter avec les gens ».

Une découverte de ce métier un peu par hasard 

Léopold a bientôt 27 ans, il est arrivé aux Cinéastes en 2018. « J’étais en fin de licence d’Histoire ». Pas assez passionné, il regarde ailleurs pour son stage de fin d’études. « J’avais apprécié ces années-là, mais pas de là à trouver un débouché dans ces métiers ». Il fait ses premiers mois aux Cinéastes puis enchaîne avec un service civique et découvre petit à petit le métier. Il passe un CAP projectionniste. « J’ai eu du bol parce que c’était la dernière année où cette formation existait, alors j’avais aussi un peu la pression. Mais j’ai tout appris avec Johann et Pascal. Les cours théoriques, je les suivais à distance ».

Pascal ? C’est l’ancien projectionniste parti à la retraite. « C’est quelqu’un qui nous a beaucoup apporté par sa personnalité. Il nous manque. Heureusement qu’il repasse souvent ».

Il nous raconte cela, le sourire aux lèvres, en regardant un portrait de Pascal en peinture, posé face à nous. Dressé, au milieu de la salle des machines de projection, Pascal arbore, dans cette jolie création réalisée par Alice Hervé, un t-shirt bleu turquoise avec l’inscription « Il y a toujours un cinéma proche de vos émotions ».

Nous avons bougé du hall pour descendre et nous aventurer dans les entrailles de ce petit cinéma d’art et d’essai, la salle de projection. Quand on entre, on découvre une grande salle, un peu trop climatisée, plutôt sombre. Hormis le portrait de Pascal qui veille sur nous, la déco est neutre, banale et un peu négligée. Les gros néons lumineux nous rappellent des salles de classe au collège ou même des sous-sols et caves d’entreprises. Celles où on va tous les ans déposer les choses les plus inutiles dont on se débarrasse. On entre donc et figurez-vous, que malgré ce portrait peu avantageux et un poil déprimant, on respire quelque chose de particulièrement sain, léger, paisible, de passionnant même. C’est finalement assez enrichissant de découvrir cette salle obscure. Un petit monde à part avec une touche de poésie. Pourquoi ? Peut-être parce qu’on a tout de suite le sentiment de voir Léopold dans son élément. Il se déplace rapidement dans tous les sens, quand il nous présente et nous explique le fonctionnement de cet endroit. Il connaît cette pièce comme le fond de sa poche. Autour de nous, des longs et larges tuyaux métalliques, couverts d’aluminium, des ordinateurs et autres machines pour faire naître et vivre un film aux yeux du spectateur.

Il nous explique avec passion comment lancer un film en pellicule. « C’est génial qu’on ait ce matos, de pouvoir projeter encore en argentique, c’est une chance ». Aujourd’hui, les films se diffusent en argentique et en numérique. Deux choses différentes, deux préparations distinctes. L’une est un peu plus passionnante que l’autre. « Le numérique, c’est une organisation différente (à base d’informatique et de travail sur ordinateur). Mais c’est une histoire d’économie. Transporter un film ça coûte 80 euros. Ce n’est pas forcément plus simple et rapide à installer, c’est surtout moins cher aujourd’hui », selon lui. Les pellicules ? « On a le sentiment d’avoir le film entre nos mains. C’est assez long à manipuler, mais à la moindre erreur, ça peut péter en pleine projection ». Il nous montre comment préparer et lancer une pellicule. Mettre d’abord la bobine sur des grosses platines métalliques. Les longues bandes fines marron et transparentes s’engouffrent ensuite ailleurs dans d’autres machines et outils mécaniques pour donner naissance au film et apparaître sur le grand écran.

« La dernière violette – 1972 ». Autour de nous dans cet atelier, les boites métalliques des bobines de films sont empilées les unes sur les autres avec des noms de films écrits à la main, à l’ancienne. « En cabine, je me sens super bien. Tu es à ton rythme. Je pense qu’il faut être un peu solitaire pour aimer cette ambiance », explique Léopold. Effectivement, c’est une ambiance qu’on apprécie, on a l’impression d’être dans un cocon. Seule une petite fenêtre donne sur la salle de cinéma, comme le hublot d’un avion qui nous garde au contact du monde extérieur. Coupé du monde, on entend évidemment aucun bruit depuis la salle de cinéma. « Parfois, je regarde et je vois facilement qui est dans la salle, s’il y a des gens que je connais, c’est plaisant », sourit-il.

Sans connaître les difficultés de ce métier, sans maîtriser les aspects techniques et complexes d’une projection, lorsque l’ont franchi la porte, on comprend rapidement la passion de ce métier. Grâce à deux choses, en écoutant Léopold raconter son quotidien et en s’imprégnant de l’ambiance et de l’atmosphère que dégage cette pièce particulière. De cette petite salle obscure et discrète, naissent les plus belles images et films que l’on découvre tous les jours dans ce cinéma d’art et d’essai emblématique de la ville mancelle.

De l’extérieur personne ne nous remarque, mais nous, on peut tout voir, tout maîtriser…

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